Un chemin de conversion (2e Dim. Avent) (08/12/19)

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques (année A) : Is 11, 1-10 ; Ps 71 (72) ; Rm 15, 4-9 ; Mt 3, 1-12

La voix du prophète Isaïe, que nous entendons depuis le début du temps de l’Avent, est aujourd’hui rejointe, par celle d’un autre prophète, qui entre en ce dimanche sur la scène liturgique de l’Avent : ce second prophète, c’est Jean le Baptiste. Sa tenue vestimentaire et ses choix alimentaires sont pittoresques : « Jean portait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins ; il avait pour nourriture des sauterelles et du miel sauvage ». Cela nous permet de sourire un peu, et surtout, cela permet aux familiers de l’Histoire sainte de se douter qu’il s’agit bien d’un prophète, d’un envoyé du Seigneur chargé de ramener le peuple vers son Dieu. Mais le prophète n’est pas qu’un homme aux coutumes exotiques : cela, ce n’est que le signe extérieur de sa condition. Le prophète est avant tout un homme qui parle et qui agit, un homme qui prononce des paroles et qui pose des actes, au nom de Dieu. L’acte, le geste accompli par Jean, c’est le baptême dans le Jourdain : « Je vous baptise dans l’eau, en vue de la conversion ». La parole centrale qu’il prononce aujourd’hui, c’est l’annonce de quelqu’un d’autre que lui : « Celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu ». Comment cette parole et ce geste de Jean peuvent-ils éclairer notre chemin d’Avent ?

« Je vous baptise dans l’eau, en vue de la conversion ». Le rite n’est bien sûr pas un acte magique : il ne suffit pas de plonger dans le Jourdain sous le regard de Jean le Baptiste pour se convertir. L’ablution d’eau est un signe extérieur qui symbolise la purification intérieure dont la première étape est la reconnaissance de notre propre péché. Les contemporains de Jean l’avaient bien compris ainsi : « Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui, et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés ». Le premier effet intérieur de la prédication de Jean dans le cœur de ceux qui l’entendent, c’est qu’ils reconnaissent leurs péchés. Cet appel à la reconnaissance du péché personnel retentit jusqu’à nous.

Est-ce que nous n’aurions pas préféré que Jean le Baptiste nous laisse dormir tranquillement, dans une vague complaisance envers nos compromissions avec le mal ? Peut-être, mais, même sans le savoir, nous l’avons un peu cherché, puisque nous prétendons nous préparer à la venue du Seigneur. Eh bien, quand le Royaume des cieux est tout proche, on ne peut faire l’économie de la conversion personnelle : « Convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche ! » C’est ainsi : la venue du Seigneur ne peut souffrir nos compromissions avec le mal. Ou, plus exactement encore, la venue du Seigneur révèle nos compromissions, petites et grandes, avec le mal, afin de nous en délivrer.

« Mais moi qui n’ai tué personne, est-ce que tout cela me concerne aussi ? » Oui, car le péché, ce n’est pas seulement les actes moralement très graves. C’est aussi, c’est d’abord, tout ce qui brise ou blesse, une relation : ma relation à Dieu, ma relation aux autres, ma relation à moi-même. Puisque, pendant ce temps de l’Avent, le Royaume des cieux ne cesse de s’approcher, en Jésus, demandons au Seigneur, avec humilité et confiance, d’ouvrir toujours un peu plus nos yeux sur notre propre péché (le nôtre, pas celui du voisin !) Que ce chemin de vérité sur nous-mêmes nous conduise à appeler avec toujours plus de confiance le salut de Dieu.

Si nous n’avons pas de péché, nous n’avons pas besoin de Sauveur, et ce n’est pas la peine que nous fêtions Noël. Parlons plutôt en termes positifs, et termes de croissance, ce qui convient mieux pour parler de notre relation avec le Seigneur : plus nous accepterons de regarder notre péché, notre capacité à fausser la réalité, à tordre le cou à la vérité, à biaiser les relations interpersonnelles, plus nous accueillerons la grâce du salut de Dieu en Jésus-Christ. Et ce sera toujours plus la source de notre joie profonde : laisser Jésus être notre Sauveur, accueillir Jésus comme notre Sauveur, laisser Jésus être Jésus – son Nom signifie « Dieu sauve » – en moi et pour moi… Oui, ce sera une source de joie. D’ailleurs, le mot que l’évangéliste Matthieu emploie pour nous dire que les pénitents de Jérusalem reconnaissaient leurs péchés (« ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés ») est le même mot que Jésus lui-même va employer un peu plus loin dans l’Évangile quand il reconnaîtra la bonté du Père et proclamera sa louange : « Je proclame ta louange, Père ». Cette coïncidence de vocabulaire nous rappelle que la confession de notre péché est toujours aussi, indissociablement, confession de l’amour du Père, louange du Père pour la merveille de son pardon en Jésus.

Au cours de cette Eucharistie, au cours de cet Avent, demandons au Seigneur la grâce de nous faire avancer en vérité sur un chemin de conversion. Le Seigneur ne nous demande pas d’être des saints par avance, afin de nous présenter devant lui revêtus d’une impeccabilité imaginaire. Bien plutôt, le Seigneur nous demande d’accepter de nous présenter devant lui tels que nous sommes, avec nos limites et avec notre péché, afin de le laisser nous revêtir de son pardon, de son salut. Ayons le courage de lui présenter telle difficulté précise dont nous souffrons, telle compromission mauvaise précise dans laquelle nous sommes engagés, tel péché précis dont n’arrivons pas à nous défaire. Et demandons-lui humblement de rester présents à nos côtés dans ces situations qui nous assaillent, d’accomplir en nous, tout d’un coup ou bien petit à petit, comme Il le voudra, son œuvre de salut en nous. Amen.

Fr. Anthony-Joseph, ocd - (couvent de Paris)
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