L’appel du Carmel

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I - Le désir d’une vie retirée

En fait, Louise mène à la Cour une vie retirée, autant que le lui permet son rang. Sa réserve ne vient pas de sa timidité, elle aurait plutôt un tempérament emporté qu’elle maîtrise à force de volonté. Pas de langueur non plus chez cette jeune femme qui n’est pas insensible aux plaisirs de l’existence. Pas de rêverie romantique pour cet esprit lucide. La princesse est sans illusion sur elle-même. Mais elle a très tôt l’intuition profonde d’un appel indicible qui se confirmera de plus en plus.

Je le sens [le Seigneur] m’appelle à quelque chose de plus élevé et qui m’attache plus particulièrement à son service. Ce qu’il veut, ce qu’il exige de moi, c’est une conformité plus exacte à la morale de l’Evangile qui dit “Que celui qui veut être à moi porte sa croix et qu’il me suive” -Mt 16,24- (“Méditations eucharistiques, Fête de Pâques, exercice pour le temps d’après la communion pascale”)

L’entrée au Carmel, en 1751, de Madame de Rupelmonde qui vient de perdre en quelques mois son époux, son fils de quatre ans et son père, frappe la princesse qui assiste à la cérémonie de prise d’habit. Sa vocation se précise, bien qu’elle ne sache pas encore vers quel ordre se diriger.

Pendant la cérémonie et avant de sortir de l’église, je pris la résolution de demander tous les jours à Dieu qu’il me donnât les moyens de briser les liens qui me retenaient dans le monde, et de pouvoir être un jour, sinon carmélite, car je n’osais me flatter d’en avoir la force, du moins religieuse dans une maison bien régulière. (Lettre de Madame Louise, s.d.n.l., citée par l’abbé Proyart, “Vie de Madame Louise de France”
Je vais vous dire les motifs qui m’ont engagée à quitter le monde, tout brillant qu’il pût être pour moi […] : mes péchés, ce qu’il en a coûté à Jésus-Christ pour nous sauver, la nécessité de la pénitence en cette vie ou en l’autre, bien difficile dans une vie aisée, surtout aimant autant ses aises que je les aimais, la parabole du chameau qui passerait plutôt par le trou d’une aiguille qu’un riche n’entrerait dans le Royaume du Ciel, la nécessité de l’aumône qui doit s’étendre sur tout le superflu, et ce superflu pour moi était immense, enfin le désir de posséder Dieu éternellement et de jouir de la couronne qui nous est préparée dans le ciel. (Lettre de Madame Louise, 1er avril 1774 , archives du carmel d’Avignon)

Le Carmel, auquel sa mère est attachée, l’attire. En 1762 en tous cas, elle est déterminée à y entrer. Elle se procure les constitutions de Sainte Thérèse d’Avila et une robe de bure qu’elle s’habitue à porter dès qu’elle se retrouve seule dans ses appartements. A l’insu de tous, elle mène au cœur du château une vie monacale : sans attendre que son désir se réalise, elle s’exerce à la vie à laquelle elle aspire.

J’avais pris, dès lors quelques renseignements sur la vie que mènent les carmélites et, sans avoir encore de vocation exclusive pour l’ordre dans lequel je me consacrerais au Seigneur, j’étais néanmoins assez décidée pour le leur, à moins que des difficultés insurmontables ne m’en fermassent l’entrée. (Lettre de Madame Louise, slnd, citée par l’abbé Proyart, “Vie de Madame Louise de France”)
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II- Princesse ou Carmélite

Madame Louise de France en carmelite

Retenue à Versailles pendant de longues années, elle ne cherche pas de vain prétexte pour remettre à plus tard l’effort quotidien de la régularité d’une existence consacrée. Au jour le jour, tout en respectant les obligations de son rang, elle trouve l’occasion d’une existence humble et fidèle. Au fil de l’année liturgique elle rédige le carnet de bord de sa longue traversée du désert.

Chaque grande fête de la vie du Christ lui est un repère dont elle tire enseignement de même qu’elle s’inspire de la vie des saints pour en suivre l’exemple.


Mes prières toujours préparées par l’exercice de la présence de Dieu, vers qui je m’élèverai par intervalles, ne souffriront plus, ou de la vivacité de mon imagination, ou de la malheureuse dissipation qu’entraînent presque nécessairement des rapport trop étendus avec le monde, ou de la trop grande occupation de soi-même. (“Méditations eucharistiques”)
Tout ce qui est autour de moi serait de m’inviter à m’arrêter sur cette terre en apparence riante et heureuse ; tout ce qui est dans moi me dit qu’elle n’est qu’un lieu d’exil et de pèlerinage

Elle s’applique continuellement et sans complaisance à un examen de conscience où elle ne laisse rien échapper au regard miséricordieux de son Dieu.

Me suis-je toujours attachée sérieusement à m’examiner, à me suivre de près, à développer tous les motifs habituels qui dirigent mes actions, à peser dans la balance du sanctuaire mes iniquités, à les détester toutes sans réserve, sans mélange, à les prévenir par des préservatifs nécessaires, à les réparer par les saintes mortifications de la pénitence, par les humiliations et les douleurs d’un repentir sincère ? N’ai-je point eu peut-être plus de répugnance à les accuser que de contrition en les pleurant ? Et mes communions, ne serais-je pas du nombre, du grand nombre des profanes qui, en recevant le corps du Sauveur, ne font que manger et boire leur propre jugement et condamnation ? ( “Méditations eucharistiques, Exercice pour la Communion pascale”)

Réceptions d’ambassadeurs, dîners officiels en public, présentation des dames de la Cour en grande robe noire dans la chambre de la reine, bal dans la grande galerie ou la galerie des glaces, expositions d’œuvres d’art dans le salon d’Hercule, revues militaires, représentations de théâtre ou concerts se succèdent sans que la princesse ait à se soucier de l’organisation de son emploi du temps. Quand trouve-t-elle donc le loisir de se retirer dans ses appartements pour poursuivre dans le plus grand secret, au rythme de l’année liturgique, le silencieux dialogue qu’elle entretient jour après jour avec son Dieu ?

Qu’est-ce que le monde avec ses enchantements pourrait jamais m’offrir de comparable aux célestes douceurs que vous prodiguez, Ô mon Dieu, à ceux qui vous aiment.

La vie de représentation à laquelle la contraint son rang lui pèse de plus en plus. Elle en vient à se sentir prisonnière dans ce château où son âme s’égare de demeure en demeure, dans les mirages renvoyés à l’infini par les miroirs où se reflètent les scintillements du siècle des Lumières.

Voyez l’esclavage où je suis, l’agitation où je vis, mes prières gênées, mes méditations coupées, mes dévotions contrariées ; voyez les affaires temporelles dont je suis assaillie, voyez le monde qui sème sous mes pas ses pompes, ses jeux, ses spectacles, ses conversations, ses délices, ses vanités, ses méchancetés, ses tentations sans que je puisse ni fuir ni me détourner. (“Méditations eucharistiques, Neuvaine à Sainte Thérèse” )
Dilatez, étendez dans mon âme toutes les vertus religieuses. Que, dès à présent, j’en pratique tout ce qui m’est possible. Donnez-moi des occasions fréquentes d’obéir, de me mortifier, de m’humilier, de me confondre avec mes inférieurs, de descendre au dessous d’eux, de fouler aux pieds le monde et ses vanités, de glorifier Dieu sans respect humain, d’embrasser sans honte la croix de Jésus-Christ, de confesser hautement sa religion et son Église, de renoncer à moi-même et à toutes mes affections, […] de me dépouiller de ma propre volonté, de me résigner à celle de Dieu, de m’élever à lui, de le prier, de converser avec lui, de l’aller visiter au pied de ses autels, de participer à sa table, d’entendre sa parole, d’assister aux offices. Multipliez toutes les occasions pareilles, je n’en perdrai pas une. Que partout, même dans les lieux les plus consacrés au monde, je porte un cœur crucifié, un cœur de carmélite.
Christophe de Beaumont

Seul Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, est dans la confidence. Il incite la princesse à la patience. Bien que sa santé soit fragile, là n’est pas la raison de cette longue attente. Depuis le retour à Versailles en 1750, vingt ans se sont écoulés avant que le vœu le plus cher de Louise se réalise. Elle commence à se désoler d’être ainsi sans cesse retardée dans l’accomplissement de sa vocation et s’en remet à Sainte Thérèse de Jésus dans une neuvaine où elle clame son impatience.


ô ma bonne Mère, que faut-il donc de plus ? Mes jours se dissipent, mes années s’écoulent ; hélas ! Que me restera-t-il à donner à Dieu ? Vos filles elles-mêmes ne me trouveront-elles pas trop âgée ? Ouvrez-moi donc enfin, ô ma Mère, ouvrez-moi la porte de votre maison, tracez-moi la route, frayez-moi le chemin, aplanissez-moi tout obstacle ; dès le premier pas, j’ai besoin de tous vos secours pour me déclarer à celui dont le consentement m’est nécessaire ; faites-moi naître une occasion favorable, préparez-moi son cœur, disposez-le à m’écouter, défendez-moi de sa tendresse, défendez-moi de la mienne, donnez-moi avec le courage de lui parler, des paroles persuasives qui vainquent toutes ses répugnances ; mettez-moi sur les lèvres ce que je dois lui dire, ce que je dois lui répondre ; parlez-lui vous-même pour moi, et répondez-moi pour lui. (“Méditations eucharistiques, Neuvaine à Sainte Thérèse”)

Les deuils successifs qui frappent la famille royale la retiennent sans doute auprès des siens. Le Dauphin, meurt en 1765, suivi deux ans plus tard par la Dauphine. Entre temps, le grand père Stanislas Leszczynski a disparu, brûlé vif accidentellement. Puis c’est le tour de la reine qui s’éteint en 1768. Louise n’est plus retenue à la Cour que par l’affection profonde qu’elle porte à son père.

Où sont tant de personnes que j’ai chéries ? Si [la religion] m’a autorisée dans les premiers épanchements de ma douleur, si elle me permet encore de l’écouter parler dans un souvenir qui me retrace la grandeur des pertes que j’ai faites, elle m’interdit aussi tout ce qui ne serait pas assez chrétien dans cette sensibilité d’ailleurs si légitime. Le foi m’apprend que ces séparations ne sont pas éternelles, qu’un jour viendra, où, ressuscitée avec ceux que je pleure aujourd’hui, nous nous réunirons par des nœuds qui subsisteront au-delà des siècles ; qu’une liaison fondée sur les droits du sang et du cœur ne porte point avec elle l’assurance de ne jamais finir sur la terre, mais qu’il est un terme où ces liens interrompus doivent se renouer d’une manière plus pure et plus durable. (“Méditations eucharistiques, Pour le jour des morts”)
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III - Le départ au Carmel

Enfin, le 30 janvier 1770, Christophe de Beaumont demande audience au roi et lui annonce l’intention de sa fille de se faire carmélite. Louis XV est consterné, mais connaissant la détermination de Louise il sait qu’elle ne s’engage pas sur un coup de tête : c’est cruel, c’est cruel, c’est cruel répète-t-il mais si Dieu la demande je ne puis pas la refuser, je répondrai dans quinze jours (Annales du carmel de Saint-Denis, vol II, p. 3)

Le 16 février suivant, il accepte, la mort dans l’âme. Sa lettre, dont l’original a disparu, a été pieusement recopiée dans le livre des Annales du carmel de Saint-Denis.

Monsieur l’Archevêque, chère fille, m’ayant rendu compte de ce que vous lui avez dit et mandé, vous a sûrement rapporté exactement tout ce que je lui ai répondu. Si c’est pour Dieu seul, je ne puis m’opposer à sa volonté et à votre détermination. Depuis dix huit ans vous devez avoir fait toutes vos réflexions, ainsi je ne puis plus vous en demander. Il me paraît que vos arrangements sont faits, vous pourrez en parler à vos sœurs quand vous le jugerez à propos. Compiègne n’est pas possible, partout ailleurs c’est à vous de décider et je serais bien fâché de rien vous prescrire là-dessus. Jamais une belle-fille ne peut remplacer une fille, elle peut tout au plus distraire. Mon petit fils m’occupe beaucoup, il est vrai, mais comment se tournera-t-il ? J’ai fait des sacrifices forcés, celui-ci sera de volonté de votre part. Dieu vous donne la force de soutenir votre nouvel état, car une fois cette première démarche faite, il n’y a plus à y revenir. Je vous embrasse de tout mon cœur, chère fille, et vous donne ma bénédiction. (Lettre de Louis XV à Madame Louise, 16 février 1771, recopiée dans les Annales du Carmel de Saint-Denis, vol. III, p. 4)

Pourquoi la princesse, après avoir tant attendu, a-telle voulu précipiter son départ ? La présentation de Madame du Barry à la Cour en avril 1769 a dû la convaincre qu’à Versailles elle ne peut plus être de grande utilité et que sa prière à l’abri du couvent sera désormais la meilleure intercession pour le salut de son père. Sincèrement chrétien, celui-ci est conscient de son indignité et de son péché. Refusant toute hypocrisie, il a depuis longtemps renoncé à faire ses Pâques et ne veut plus toucher les écrouelles. Hanté par la peur de la mort et de la damnation, il traverse parfois de longues crises de neurasthénie. Quand sa vie est mise en danger, à Metz, en 1744, en pleine campagne militaire, puis en 1757, lors de l’attentat de Damiens, il fait preuve de contrition et de repentir au point de céder aux objurgations de l’Église et du clan familial de renvoyer sa maîtresse du moment. Mais le danger passé, la vie et le désir reprennent le dessus, ou simplement l’habitude, et le besoin d’avoir près de lui une amie sûre et fidèle. La mort de Madame de Pompadour en 1764, le laisse face à la solitude que ses filles s’emploient à lui faire oublier par la tendresse dont elles redoublent après le décès de leur mère en 1768. Mais alors il a déjà fait connaissance de Madame du Barry.

L’affection qu’elle porte à son père, le désir de le voir s’amender ont sans aucun doute pesé sur la décision de Louise :

Verra-t-il [ma résolution] sans être touché de Dieu et sans retourner entièrement à Lui ? Moi carmélite et le Roi tout à Dieu ! ( “Méditations eucharistiques, Neuvaine à Sainte Thérèse”).

Sa vocation de carmélite pourtant, ne saurait reposer sur ce seul désir, si louable qu’il soit. Il s’agit de la réponse à un appel entendu depuis longtemps, réponse longuement mûrie et s’enracinant dans une foi profonde et une réelle aspiration à la solitude et au silence pour l’orientation de toute une vie vers l’union à Dieu.

N’ai-je pas connu assez le monde, pour le détester à jamais, pour ne jamais le regretter ? J’ai considéré tant de fois une à une, toutes les douceurs de cet état, auquel je veux renoncer ! Vous m’êtes témoin, ô mon Jésus, qu’il n’en est point que j’aie balancé à vous sacrifier. Vaines douceurs, douceurs pleines d’amertumes, fussent-elles mille fois plus pures, je préfère le calice de mon Sauveur… Ne me dites point, ma Sainte mère, que je ne connais pas encore assez votre règle. Ah ! ne m’avez-vous pas vu la lire sans cesse, la méditer, la porter toujours sur moi, en faire mes délices ? Je ne me suis rien déguisé, abaissements, pauvreté, austérités de toutes espèces, privations de toutes sortes, solitude, délaissement, contradictions, humiliations, mépris, mauvais traitements, j’ai mis tout au pis ; rien ne m’a effrayée, j’ai comparé l’état de Princesse et l’état de Carmélite, et toujours j’ai prononcé que celui de Carmélite valait mieux que celui de Princesse  ; et jamais ce jugement ne s’effacera de mon cœur… (“Méditations eucharistiques, Neuvaine à Sainte Thérèse”)
Sentence
Mais tandis que je m’occupe de mon cœur, que je m’en propose les vertus, et que je m’y exerce, ne me laissez pas non plus, ô ma sainte Mère, négliger l’état où la Providence me retient encore, quelque court que doive être le temps qu’elle m’y retiendra. Suggérez-moi aussi tous les devoirs, obtenez-moi de les remplir ponctuellement avec autant d’exactitude, d’émulation, et de perfection, que si je devais être toute ma vie ce que je suis à présent ; multipliez aussi, sous mes mains, les occasions de faire le bien propre de cet état, le bien que je ne pourrai plus faire dans le cloître. Hélas ! qu’ai-je fait ici pour répondre à la Providence, et la justifier de m’avoir placée, et de m’avoir tenue plus de trente ans dans ce rang d’élévation ? Ô mon Dieu ! Remplissez le peu de jours qui me restent de cette grandeur, et que de leur plénitude soient comblés tous les vides de ma vie passée. Donnez-moi dans ce court espace de temps de servir la Religion, l’Eglise et l’Etat ; de tirer de la misère tous les malheureux, de soutenir, de ranimer, d’encourager la piété, de protéger l’innocence opprimée, d’imposer un silence éternel à la calomnie et à la médisance, de vous gagner toute ma maison, d’édifier toute la Cour ; et avant de m’enfermer pour travailler uniquement à mon salut, d’avoir procuré celui de tous ceux à qui l’élévation dont je descends m’aura donnée en spectacle.
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IV - L’entourage familial

Lorsque Mesdames cadettes reviennent à Versailles Louis XV est âgé de quarante ans. En pleine maturité, il est alors encore sans aucun doute le plus bel homme de tout le royaume. Sa prestance lui donne un air de majesté qui ne peut qu’intimider au premier abord. Vers le milieu de ce siècle, son crédit commence cependant à décroître : bientôt il ne sera plus le roi « Bien aimé » de ses peuples. A Versailles, tout en veillant à reproduire scrupuleusement le cérémonial voulu par Louis XIV, il améliore l’espace de vie privée que s’était déjà aménagé son aïeul à partir de 1680. Ainsi à certaines heures, peut-il échapper au rituel et à la représentation dans ses appartements intérieurs, au premier étage, donnant sur la cour de marbre et la cour royale. Mieux encore, dans les petits appartements privés aménagés au second étage ou dans les combles, seuls les intimes sont admis. Ce mode de vie ne fait qu’accentuer la séparation du couple royal. Avant même d’avoir seize ans, Louis a été marié à une obscure petite princesse, fille du roi détrôné de Pologne dont il n’avait fait la connaissance que la veille. Bien qu’épris, dans les premières années, de cette épouse de sept ans son aînée, il ne trouve pas auprès d’elle le réconfort d’une affection maternelle dont, orphelin de ses deux parents à l’âge de deux ans, il a cruellement manqué. Pas plus Marie ne lui offre-t-elle le chaleureux refuge d’un foyer et d’une tendre complicité. Il respecte la reine, qui remplit de façon exemplaire ses devoirs mais cesse toute relation avec elle l’année qui suit la naissance de Louise. Entre temps deux garçons sont nés, le Dauphin en 1729 puis le duc d’Anjou qui n’a vécu que trois ans. L’avenir du trône repose donc sur le seul fils du couple royal.

A partir de 1733, Louis XV prend une maîtresse. Trois sœurs se succèdent d’abord dans ses faveurs, puis vient la délicieuse Madame d’Etiolles. Mais derrière l’apparence de séducteur se cache en vérité un homme timide, introverti et dont la grande réserve va jusqu’à la dissimulation : « Le caractère de notre maître est peut-être plus difficile à dépeindre qu’on ne se l’imagine ; c’est un caractère caché non seulement impénétrable dans son secret, mais encore très souvent dans les mouvements qui se passent dans son âme » (duc de Luynes).

Rares, mais combien précieux sont les moments passés avec "papa-roi" qui a affublé ses quatre filles cadettes, selon la mode du temps, de surnoms affectueux et ridicules : Torche (Adélaïde), Coche (Victoire), Graille (Sophie) et Chiffe (Louise). Les visites que ses enfants rendent chaque jour à Louis XV sont entourées de tout un cérémonial :

Tous les soirs à six heures, Mesdames interrompaient la lecture que je leur faisais pour se rendre avec les jeunes princes chez Louis XV : cette visite s’appelait le « débotter du Roi » et s’accompagnait d’une sorte d’étiquette. Les princesses passaient un énorme panier qui portait une jupe chamarrée d’or ou de broderies ; elles attachaient autour de leur taille une longue queue et cachaient le négligé du reste de leur habillement par un grand mantelet de taffetas noir qui les enveloppait jusque sous le menton. Les chevaliers d’honneur, les dames, les pages, les écuyers, les huissiers portant de gros flambeaux les accompagnaient chez le roi. En un instant, tout le palais, habituellement solitaire, se trouvait en mouvement ; le roi baisait chaque princesse au front et la visite était si courte que la lecture interrompue […] recommençait souvent au bout d’un quart d’heure. (Mme Campan, "Mémoires")

Cependant, à partir de l’automne 1750, Louis XV prend l’habitude de convier régulièrement ses enfants à souper avec lui dans ses appartements privés.

Quant à Louis XV, il essaye, malgré les devoirs de sa charge de trouver des moments d’intimité avec ses enfants. En vérité, rien n’est plus touchant que ces entrevues, la tendresse du roi pour ses enfants est incroyable et ils y répondent de tout leur cœur (Lettre de Madame de Pompadour à son frère, 20 octobre 1750)

Les princesses admirent aussi la reine et leur frère, qui leur semblent des modèles de vertu dans une société où la frivolité est de bon ton.

Quand Mesdames, fort jeunes encore, furent revenues à la Cour, elles jouirent de l’amitié de Monseigneur le Dauphin et profitèrent de ses conseils. Elles se livrèrent avec ardeur à l’étude et y consacrèrent presque tout leur temps. (Madame Campan, « Mémoires »)

Entouré de l’admiration de ses sœurs et de leur affection le Dauphin était un homme de cabinet, cultivé et grand amateur de musique, il préférait la conversation à tout autre plaisir, notamment ceux de la chasse, du bal ou du spectacle. Il goûtait l’intimité familiale à la façon d’un prince bourgeois, surveillant de près l’éducation de ses enfants, et passait de longues heures à lire dans son cabinet, tandis que sa femme, Marie-Josèphe de Saxe, toute dévouée à lui assurer une abondante postérité, brodait à ses côtés. Mais Louis XV, tout en l’admettant au Conseil, ne lui accorda jamais une grande responsabilité : peut–être y était-il d’autant moins disposé qu’il percevait chez son fils, très pieux, une sourde réprobation de sa conduite […]

Ardent partisan de la Compagnie de Jésus, comme sa mère et ses sœurs, [le Dauphin] avait adopté sa spiritualité et ses dévotions, notamment le culte du Sacré Cœur. Inlassablement, il avait sollicité Rome avec la reine, pour que sa fête fût officiellement reconnue par l’Eglise. Il devait obtenir gain de cause en 1765.« (Bernard Hours, »Madame Louise princesse au carmel", Cerf, 1987)

Quant à la Reine, femme de devoir, elle manifeste peu ses sentiments. Elle dira cependant de sa fille cadette : je n’aime pas seulement Louise, je la respecte. La princesse éprouve aussi une grande admiration envers elle et souhaite suivre son exemple.

J’admirais souvent comment la Reine, qui avait de grands devoirs à remplir, et auxquels elle était très fidèle, avait su se mettre en liberté et vivre comme une sainte au milieu de la Cour. J’aurais souvent désiré être auprès d’elle plus longtemps et plus particulièrement avec elle ; mais il y a des usages à la Cour auxquels il faut faire plier jusqu’aux sentiments de la nature. J’aurais voulu lui ressembler. (Lettre de Madame Louise, slnd, citée par l’abbé Proyart, « Vie de Madame Louise de France »)
De même Louise est-elle édifiée par la conduite de sa sœur Henriette dont la mort, survenue en 1752, l’affecte profondément. Henriette vivait comme la Reine. Tout le monde disait que c’était une sainte et ce que nous en voyions nous le disait aussi. Sa mort me fit la plus grande impression. Je sentais combien il était doux de mourir aussi saintement qu’elle, mais ma vie était bien différente de la sienne, et j’avais grand peur de mourir avant d’avoir commencé à mieux vivre. (Lettre de Madame Louise, slnd, citée par l’abbé Proyart, « Vie de Madame Louise de France »)

Tombée malade à Versailles, le jour de la Chandeleur, la princesse, atteinte de tuberculose intestinale, meurt le 10 février, à l’âge de vingt quatre ans. Immédiatement elle est transportée aux Tuileries, assise au fond de son carrosse, le visage maquillé, le corps maintenu par des sangles. La coutume veut en effet que l’on ne meure pas au château. L’enterrement a lieu le Jeudi saint dans la basilique de Saint-Denis, nécropole royale. L’oraison funèbre prononcée par Monseigneur Poncet de la Rivière évoque la caducité de l’existence. Madame Louise y fait ici écho : Je m’applique à considérer les caducités des grandeurs de ce monde, la rapidité avec laquelle elles s’évanouissent, le peu qu’il faut pour les enlever, à quoi elles se terminent ; une pompeuse décoration, un éloge funèbre, un lugubre cérémonial, tristes restes des vains honneurs qui ont été rendus pendant la vie. (« Méditations eucharistiques, Exercice pour une Communion anniversaire, à l’occasion des devoirs de charité rendus aux morts »)

Henriette morte, Madame Elisabeth ayant quitté la Cour après son mariage avec l’Infant d’Espagne (1739), restent les quatre plus jeunes. Tout enfant déjà, refusant de quitter la Cour pour Fontevraud, Adélaïde s’était signalée par une force de caractère qui ne fera que s’accentuer avec l’âge. Sa personnalité efface celles de ses deux cadettes, Victoire et Sophie. Seule, Madame Louise aurait pu face à elle s’affirmer par la vigueur de son tempérament. Mais tout en accomplissant avec ponctualité tous les devoirs de son état elle ne tend qu’à la solitude d’une vie cachée en Dieu.

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