Homélie 6° dim. TO : au-delà du permis/défendu

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année A) : Si 15, 15-20 ; Ps 118 (119) ; 1 Co 2, 6-10 ; Mt 5, 17-37

« Frères, c’est bien de sagesse que nous parlons. » Ce que saint Paul affirme aux chrétiens de Corinthe, « adultes dans la foi » vaut bien pour nous aujourd’hui. Nous pouvons voir que la quête de sagesse revient d’actualité à travers les titres de nombreux livres ou magazines. En période de crise ou de perte de repères, l’être humain a besoin de retrouver une sagesse, un art de vivre qui le conduise à une vie bonne. Et l’on sait le succès des sagesses orientales, comme si on avait oublié que le christianisme avait également sa propre sagesse, la sagesse évangélique ; une sagesse qui est bien chemin de bonheur. Cependant saint Paul précise que cette sagesse n’est pas celle du monde mais celle « du mystère de Dieu », la sagesse de la croix. Sagesse exigeante et paradoxale qui nous fait entrer dans un chemin toujours nouveau, sous la conduite de l’Esprit.

Tel est l’enseignement de Jésus dans ce début du sermon sur la montagne : la sagesse que le Maître apporte ne consiste pas en celle des scribes et des pharisiens. Et pourtant nous avons du mal à le comprendre et encore plus à le vivre. Jésus nous invite à dépasser la conception de la justice légaliste pour entrer dans le Royaume des cieux. De quoi s’agit-il ? L’art de vivre du Christ ne consiste pas dans la mise en application d’une morale réduite au code binaire du permis/défendu. La sagesse chrétienne, ce n’est pas de chercher à être en règles avec Dieu et cumuler les bons points pour avoir son droit d’entrée au paradis. Quelle triste vie serait alors la nôtre ! Car au fond, la sagesse serait simplement une recherche individualiste pour soulager sa conscience et une fois les préceptes accomplis, mener sa petite vie tranquille à côté, sans Dieu et sans les autres… Certes Jésus, n’abolit pas la loi et les commandements mais il les accomplit en les radicalisant, c’est-à-dire en les ramenant à leur racine ; l’enjeu n’est pas seulement notre comportement extérieur, que ce soit dans notre relation au prochain, le lien conjugal ou la parole donnée, mais notre intention profonde. La sagesse évangélique ne régit pas simplement l’homme extérieur : elle s’intéresse à toute notre personne en partant du tréfonds de notre cœur, ses motivations et ses sentiments. Elle concerne notre extériorité comme notre intériorité.

L’accomplissement de la loi devient sagesse de vie car Jésus nous ramène à sa racine qu’est l’amour. Le propos de la sagesse de Jésus est que nous ne vivions pas sous le mode minimaliste du permis/défendu mais sous celui de l’amour qui vient toucher et transformer toute notre personne. Et voilà pourquoi elle est un chemin de bonheur : parce que seule cette sagesse évangélique est capable de transformer tout notre être, des comportements les plus extérieurs aux motivations les plus secrètes : c’est l’œuvre de l’Esprit Saint en nous. Il vient nous sanctifier pour nous rendre saints : car la sagesse évangélique conduit en effet à la sainteté. Seule la sainteté rend vraiment heureux, du bonheur digne de l’homme et de la femme, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Si Jésus augmente l’exigence morale de la Loi, ce n’est pas pour nous coincer ou parce que nous serions meilleurs, c’est pour nous proposer un chemin de vie qui réellement transforme toute notre existence et nous rende semblables à lui ; la sagesse du sermon sur la montagne est celle qui conduit aux béatitudes, c’est-à-dire pas à un bonheur abstrait mais au bonheur que Jésus a concrètement vécu sur cette terre. Jésus parle d’expérience : il nous donne de vivre la sagesse qu’il met lui-même en pratique.

Cette loi de l’amour dépasse radicalement le classement permis/défendu ; non pas que celui-ci disparaît. Mais avec l’amour, il n’y a plus de limites ; il n’y a pas un seuil au-dessus duquel on peut estimer que nous serions des gens bien, que nous en aurions fait assez et que nous serions en règles avec le Bon Dieu. Alors évidemment, ce changement blesse notre ego : le pharisien qui sommeille en nous est mis à mal. Mais c’est ainsi que nous sommes sauvés de notre orgueil et de tout moralisme ; nul ne peut accomplir la loi de l’amour par lui-même. Nous sommes tous des apprentis, des disciples et cela peut nous rassurer et nous empêcher de juger les autres. Nous apprenons ensemble à vivre de la sagesse de Jésus, une sagesse jamais épuisée car l’horizon de l’amour avance avec nous. Et ainsi la quête de sagesse devient une vraie aventure qui nous fait échapper à nos essais de maîtrise et de puissance. Car cette sagesse ne s’acquiert pas tout seul. Nous avons besoin sans cesse de l’aide de Jésus et de l’Esprit Saint pour emprunter ce chemin et ne pas nous décourager. Car la loi nouvelle de l’évangile est bien un chemin un parcourir et non une épée de Damoclès qui nous empêche de vivre.

Certes, la voie de l’Evangile est rude et exigeante mais c’est parce qu’elle nous propose une sagesse qui ne déçoit pas et nous donne accès à un bonheur capable de traverser toutes les situations, joies comme souffrances. L’Esprit Saint est là qui nous enseigne et nous conduit ; de sorte que cette sagesse est le fruit de notre collaboration avec le Seigneur qui transforme progressivement notre intelligence pour comprendre ce qui est bon et qui donne la force à notre volonté pour décider de faire le bon choix, même s’il est coûteux. La sagesse de la Croix est la voie de l’amour qui libère de toute étroitesse et nous rend libres pour aimer et nous donner. Seul Celui qui est Amour, le Christ Jésus, peut nous enseigner ce chemin dans le secret de notre cœur, dans le creuset de notre conscience, si celle-ci consent à s’ouvrir à la grâce.

« Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix » : la sagesse du monde qui séduit et déçoit ou la sagesse de la croix qui nous laisse libres et nous emmène loin dans les chemins de Dieu. Que choisirons-nous ?

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau - (Couvent d’Avon)
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