7e Dimanche T.O. -A-

Œil pour œil, dent pour dent

Derrière ces pages de catéchèse, très stylisées, de saint Matthieu, nous retrouvons sans difficulté non seulement toute la pédagogie des premiers prédicateurs chrétiens, mais toute la force et toute l’exigence du message moral de Jésus.

« Œil pour œil, dent pour dent », cette vieille loi du talion avait fait ses preuves dans les civilisations anciennes du Proche-Orient Tantôt elle apparaissait comme une mesure de rigueur, destinée à faire réfléchir les criminels, tantôt elle jouait en fait comme une mesure d’ordre et de modération, qui protégeait les délinquants contre des vengeances aveugles. De toute façon, pour Jésus, tout cela est radicalement dépassé par la loi nouvelle qu’il promulgue de sa propre autorité de Fils de Dieu : « Je vous dis de ne pas tenir tête, de ne pas riposter aux méchants ».

Et Jésus ajoute quatre exemples, en passant du-« vous » au « tu, pour les personnaliser davantage. »À celui qui te frappe sur la joue droite, tends l’autre joue" . Ce n’est pas un exemple irréel, car dès que l’on entreprend quelque chose pour le Seigneur, il faut s’attendre à recevoir des coups, parfois de tous les côtés, et nous savons tous par expérience toutes les petites gifles morales que nous réserve la vie communautaire, et surtout la vie des petites fraternités.

Ce n’est pas non plus un exemple irréalisable, et on le déformerait, en y voyant une simple boutade du Seigneur. Car Jésus, réellement , nous attend là, et sa loi, valable pour chaque personne, l’est aussi pour les communautés, qui ont, elles aussi, à rejoindre cet idéal de non violence, dans leurs rapports avec les autres groupes humains. Mais c’est une attitude qui doit jaillir du plus profond de la liberté et qu’on ne saurait imposer à aucun ; et c’est pourquoi le Seigneur, calmement, déclarait à ceux qui venaient l’arrêter à Gethsémani : « Si c’est moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir ».

Vient ensuite l’exemple de la tunique et du manteau. À la surenchère de la haine, il faut répondre par la surenchère de l’amour. La réquisition pour un mille (c’est-à-dire pour 1.500 m) fait sans doute allusion à des corvées. Les soldats ou les fonctionnaires pouvaient forcer un passant à porter un fardeau ou à les accompagner un instant à titre de guide ou d’otage Ainsi, selon Jésus, à tous ceux qui abusent de nos services, qui font de nous leurs esclaves (…ou leurs boniches !), il faut répondre par une surenchère de la disponibilité. Souvent d’ailleurs, le seul pas qui coûte vraiment, c’est le pas 1001.

Et enfin Jésus dit : « Donne à qui te demande ». Dans ce contexte, il semble bien s’agisse d’une demande agressive ou injuste. Là encore le Seigneur nous suggère de répondre par un geste d’apaisement ou de patience.

Telles sont les consignes de Jésus, à la fois paradoxales et terriblement réalistes. Au bout du compte, tous les comptes sont faussés, car Dieu est celui qui ne veut pas compter. À une morale de la juste proportion, Jésus substitue la morale de la douceur volontaire. Aux pressions de la méchanceté Jésus oppose seulement le dynamisme mystérieux de la non violence. Il n’approuve pas le mal, mais il refuse de répondre au même niveau que le mal.

Évidemment, suivre Jésus jusque-là, c’est-à-dire adieu à toutes nos sécurités, ces pauvres sécurités que nous appuyons sur des arguments de justice, sur des droits réels à faire valoir, sur des compétences que nous voulons défendre, sur des rôles qui nous flattent et que nous voulons garder. Ce risque évangélique réclame une force que seul le Christ peut nous donner, la force de l’espérance, toujours paradoxale ; un tel renoncement à l’agressivité, véritable folie aux yeux du monde, ne peut être vécu que par amour, par un amour un peu fou lui aussi, voué à Celui qui est source de tout amour.

La disproportion grandira forcément dans notre vie évangélique, entre nos droits et nos devoirs, entre ce que nous recevons et ce qu’il faudra donner, disproportion douloureuse, révoltante même à certains jours, disproportion qui ne sera corrigée que par le cœur de Dieu selon les critères d’une sagesse inaccessible, et qui sont, eux aussi, des critères d’amour.

Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.

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