30e Dimanche TO -C-

‘Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis !’

L’une des particularités de l’Évangile selon saint Luc, par rapport aux 2 autres Évangiles synoptiques de Marc et de Matthieu, est d’insister sur la prière et la miséricorde. Luc, plus que Marc et Matthieu, nous parle de la prière de Jésus, de ces longs moments qu’il passait auprès de son Père en se retirant de nuit. De même, Luc développe particulièrement l’appel de Jésus à une prière fervente, confiante et persévérante en nous offrant 2 paraboles qui ne sont pas reprises par Marc et Matthieu. Nous avons entendu la première dimanche dernier, celle du juge inique qui, las des prières incessantes d’une veuve opiniâtre, lui rend tout de même justice. Aujourd’hui, Jésus poursuit son enseignement sur la prière avec cette parabole du pharisien et du publicain.

Cette parabole est bien caractéristique de St Luc, il y joint ses 2 thèmes favoris de la prière et de la miséricorde. Ainsi elle présente le cœur de la Bonne Nouvelle selon St Luc : « Qui s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé ! » Sentence que nous retrouvons au fronton de notre basilique Ste Thérèse de l’Enfant Jésus à Lisieux. Luc nous dévoile que l’œuvre de salut se réalise dans le cœur véritablement humble. Devient juste celui qui sait garder un cœur de pauvre et non celui qui est satisfait de lui-même. La figure du pharisien symbolise ceux qui pensent que Dieu attend de nous avant tout un comportement irréprochable en pratiquant scrupuleusement ses commandements : la prière, le jeûne et l’aumône. Et il rend grâce à Dieu non pas de ce qu’il aurait reçu du Seigneur, mais d’être satisfait de lui-même, de ce qu’il a pu réaliser par ses propres forces : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne. »

Il en est de même pour nous quand nous pensons à Dieu avant tout comme un maître exigeant qui attendrait de nous que nous pratiquions strictement ses commandements. Être un bon chrétien, ce serait devenir juste par la pratique de la loi nouvelle de l’Évangile, le but serait de pouvoir dire à Dieu que l’on a réussi à faire tout ce qui nous demande. Ainsi nous pensons que Dieu serait satisfait de nous, et nous serions ainsi satisfaits de nous-mêmes aussi ! Poussée jusqu’au bout, cette attitude vise à vouloir en définitive se passer de la grâce de Dieu, de sa miséricorde. Il faudrait utiliser le moins possible cette grâce et cette miséricorde, essayer et réussir à obéir à Dieu sans avoir besoin de lui, de son aide, pour lui offrir dans une fausse action de grâce notre obéissance et notre fidélité à ses commandements.

Mais tout cela est vain et déforme l’image de Dieu, notre Père. C’est vain parce que personne ne pourra jamais par lui-même accomplir parfaitement la loi de Dieu. Car toute la loi consiste en l’amour de Dieu et de notre prochain. Or qui peut aimer parfaitement par lui-même ? Personne. Alors quelle est l’image de Dieu, si l’on considère qu’il nous oblige à un commandement impossible à réaliser ? Penser que le commandement de l’amour est une obligation qui pèse sur nos épaules et que cela nous est imposé par Dieu aboutit à une culpabilisation incessante et à voir en Dieu l’image d’un maître exigeant qui assigne à ses sujets un but impossible à réaliser.

Tous les grands saints reconnaissent au contraire que ce qu’ils sont et ce qu’ils font vient de Dieu, que c’est l’Esprit Saint qui agit à travers eux. Nous connaissons tous, ici à Lisieux, la petite voie de confiance et d’amour de Ste Thérèse qui reconnaissait son impuissance et qui attend tout de la miséricorde du Seigneur, même en ce qui concerne la charité fraternelle. Ne dit-elle pas dans ses manuscrits autobiographiques : « Seigneur, je sais que vous ne commandez rien d’impossible, vous connaissez mieux que moi ma faiblesse, mon imperfection, vous savez bien que jamais je ne pourrais aimer mes sœurs comme vous les aimez, si vous-même, ô mon Jésus, ne les aimiez encore en moi. C’est parce que vous voulez m’accorder cette grâce que vous avez fait un commandement nouveau. Oh ! Que je l’aime puisqu’il me donne l’assurance que votre volonté est d’aimer en moi tous ceux que vous me commandez d’aimer ! » (Ms C 12 v°). Il en est de même pour St Paul qui reconnaît dans la 1re épître aux Corinthiens : « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce à mon égard n’a pas été stérile. Loin de là, j’ai travaillé plus qu’eux tous : oh ! non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. » (1Co 15,10)

Cette de parabole du pharisien et du publicain est la quintessence de l’Évangile de Luc parce qu’elle nous invite à reconnaître que notre justification aux yeux du Seigneur nait de notre pauvreté, de notre incapacité à réaliser les commandements. Parce que notre pauvreté, et même notre péché, permet à Dieu d’être véritablement Dieu dans notre vie. En effet, si nous n’avions pas besoin de son pardon et de sa miséricorde ou plutôt si, comme le pharisien, nous pensions n’avoir pas besoin du pardon et de la miséricorde, quelle serait la place de Dieu dans notre vie ? Lui qui n’est qu’amour et miséricorde.

Il me semble qu’on pourrait même comprendre que le Seigneur puisse se servir de nos faiblesses et de notre péché pour nous le faire comprendre. Dans certains cas, particulièrement pour des fautes qui nous humilient et cause pas de grands dommages au prochain, en nous laissant nous heurter quotidiennement à nos limites et à nos fautes, le Seigneur nous invite à comprendre que sans lui nous ne pouvons rien faire (Jean 15,5). L’incapacité à dépasser par nous-mêmes nos limites et à réaliser la plénitude de la loi de l’amour pourra faire naître un jour en nos cœurs et en notre esprit la prière du publicain par laquelle nous serons justifiés : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ! ». Peut-être que le Seigneur nous donnera de dépasser nos limites, de vaincre notre péché, lorsque nous saurons accueillir ces victoires, non pas en pensant qu’elles viennent de nous, mais en reconnaissant, comme Saint-Paul et Sainte Thérèse, que ce sont là les œuvres de Dieu en nous. Bienheureuse faute qui nous vaudra de reconnaître notre Sauveur ! Avec St Jean de la Croix nous pouvons dire : « Qui pourra se libérer de ses pauvres manières et de ses pauvres limites, si Toi-même ne l’élèves à Toi en pureté d’amour, mon Dieu ? Comment s’élèvera jusqu’à Toi l’homme engendré et créé dans la bassesse, si Toi-même ne l’élèves, Seigneur, de Ta main qui l’a fait ? » (Prière de l’âme énamourée)

Nous voici donc ensemble réunis autour de l’autel pour recevoir le don de Dieu les mains ouvertes et vides, le cœur contrit. Tous rassemblés, pécheurs mais pardonnés, mauvais riches mais qui osons lever les yeux au ciel, pauvres qui n’avons rien n’a donné, ouvriers de la 11e heure et autres voleurs de grâce. C’est pourquoi de nombreuses fois au cours de l’Eucharistie avant de recevoir le corps du Seigneur nous aimons implorer sa miséricorde : « prends pitié de nous ! »

Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.

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