Si quelqu’un veut être le premier (Homélie 25° dim. TO)

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques (année B) : Sg 2, 12.17-20 ; Ps 53 (54) ; Jc 3, 16 – 4, 3 ; Mc 9, 30-37

« Si quelqu’un veut être le premier … » Comment cette question résonne-t-elle en nous ? Quel serait notre désir d’être le premier, la première ? Jésus ne se scandalise pas du désir de prééminence de ses disciples. Il le comprend au contraire et le prend très au sérieux. Il leur montre simplement qu’ils se fourvoient quant au chemin pour y parvenir. Mais tout d’abord en quoi est-il compréhensible, voire légitime, de désirer être le premier ? La quête de gloire, de prestige, d’autorité n’apparaît-elle pas avant tout liée à ce terrible désir de toute puissance qui fait obstacle à la fraternité humaine. La Croix de Jésus n’est-elle pas le révélateur par excellence de cet aveuglement causé par l’attachement au pouvoir ? Mais derrière cette façade malheureuse et tragique, n’y a-t-il pas aussi dans ce désir d’être le premier celui d’être reconnu comme unique, c’est-à-dire simplement d’être aimé. L’homme est-il finalement avant tout pécheur ou simplement malheureux ? Qu’est-ce qui relève de sa liberté pervertie ou du désespoir de ne pas se croire aimé ? Atteindre la première place, c’est aussi se donner le moyen d’être reconnu envers et contre tout. C’est affirmer que l’on existe comme personne d’autre n’existe. Les disciples cherchent-ils le pouvoir ou la place privilégiée auprès de Jésus du disciple préféré ? En soi, un tel désir est légitime, mais le moyen pour le réaliser est biaisé. La personne cherche à imposer aux autres cette reconnaissance. Elle se rend insupportable par ses exigences jusqu’à rendre les autres malheureux sans atteindre jamais pour autant ce qu’elle cherche, car l’amour ne saurait être objet de conquête. Elle échoue toujours dans ce projet, car la gloire ainsi conquise ne la satisfait jamais.

Jésus, lui, le Fils unique et Bien-Aimé, le Premier-né de toute créature, plein de grâce et de vérité, se sait infiniment aimé. Il n’a rien à revendiquer puisque tout lui est donné. Jésus connaît le bonheur d’exister dans l’amour du Père. Il est ainsi libre de donner sa vie par amour pour révéler aux hommes qu’ils sont eux aussi infiniment aimés du Père. L’humilité de Jésus manifeste cet amour absolu qui n’a rien à conquérir, cette humilité qui l’identifie au pauvre, au petit, à l’enfant. Jésus place un enfant au milieu de ses disciples. Ce geste n’est pas une simple marque d’affection, mais une manière de faire corps avec l’enfant : il s’identifie à cet enfant, qui devient le porteur de son nom. Il place l’enfant au centre comme le signe de sa présence au milieu des Douze. Jésus ne fait pas semblant. Il se reconnaît lui-même en cet enfant. De même que Jésus tient sa dignité, non de lui-même, mais du Père qui l’a envoyé, l’enfant tient son inimaginable dignité de ce que Jésus s’identifie à lui. Accueillir un enfant au nom de Jésus renvoie ici à la nécessité d’accueillir les plus petits de la communauté comme on accueillerait Jésus lui-même. Par cet accueil, le disciple reçoit non seulement Jésus, mais aussi celui qui l’a envoyé. A travers l’enfant, Jésus renvoie ses disciples au mystère de Dieu lui-même. La grâce de la foi n’est autre que la certitude d’être ainsi aimé d’une manière unique comme un enfant l’est de son père. Chacun est prédestiné à l’amour dans le Fils, l’unique Prédestiné du Père. Chacun est Premier dans le cœur de Dieu par la grâce du Premier-né de toutes créatures. Cet amour ne se vit pas sur les podiums, mais dans le secret du cœur. Il y a une similitude entre humilité et vie cachée. L’humilité selon Thérèse d’Avila procède de la certitude de se savoir gratuitement aimé de Dieu. Se savoir unique dans l’amour de Dieu est le mystère de chacun, mystère incommunicable sinon dans le service du plus humble reconnu lui aussi comme étant premier et unique. La fraternité chrétienne est ainsi fondée sur l’accueil du plus petit dans la communauté comme présence du Christ. En accordant l’unicité à celui qui n’a aucun moyen d’occuper la première place, nous entrons à la suite de Jésus dans le mystère du Père. Être unique, c’est aimer à notre tour sans exclusive tous ceux que le Père nous donne pour frères et sœurs. Alors, nous pouvons comprendre le bonheur inouï d’être nous-mêmes ce pauvre aimé de Dieu dans l’unique. La joie véritable est de n’être rien sans Dieu, de recevoir filialement notre vie dans le Fils unique et bien-aimé en son Esprit d’amour.

fr. Olivier-Marie Rousseau , ocd - (Couvent de Paris)
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