Ste Thérèse d’Avila et l’oraison

Thérèse d’Avila invitation à l’Oraison

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I - L’époque

Thérèse d’Avila une femme du 16e siècle espagnol à la jonction entre deux univers, l’un tourné vers le Moyen- Âge avec la vision classique de l’homme. Il est au centre du monde lui-même dominé par Dieu, la terre à ses pieds. Cette vision du monde explose à l’époque de Thérèse. Non seulement l’homme n’est plus au centre, mais Dieu n’est plus en haut, et la terre tourne autour du soleil, la terre n’est pas plate, elle est ronde.

C’est toute une vision du cosmos, de l’homme et de Dieu qui est remise en question et dont nous sommes les héritiers. La stabilité du monde, des choses, de Dieu est remise en cause. Et c’est aussi la découverte du Nouveau Monde, de ses riches fabuleuses. L’or et l’argent arrivent par centaine de tonnes en Espagne, au Portugal.

Thérèse n’est pas pour rien la sœur de conquistadors, mais elle ne se lancera pas avec eux à la découverte de ce nouveau continent. Elle a trop soif de ce qui est éternel. « Pour toujours, toujours » ce sera son cri d’enfant alors qu’elle part avec son frère pour mourir martyre. Elle a sept ans et son frère 10. Elle sait déjà communiquer son ardeur pour l’éternité et convainc son frère.

Ce n’est pas l’or des Indes qui l’intéresse, ni la conquête d’immenses espaces. C’est la vie de son âme et Celui qui s’y révèle. Il est là ce nouveau continent que Thérèse souhaite conquérir, découvrir.

Dans C28.10 :

« il ne faut pas nous imaginer que nous sommes vides à l’intérieur de nous-mêmes… car il y a, au-dedans de nous, une autre chose plus précieuse – sans comparaison – que celle que nous voyons au-dehors. »

Elle va se faire le chantre de l’amitié avec Jésus par le chemin de l’oraison. En compagnie de cet ami, Thérèse va ouvrir la grotte de son cœur. Un immense espace d’amour s’ouvre à elle.

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II - L’oraison

J’étais en entretien avec une maman et je cherchais à lui montrer quel est le cœur de la vie de prière que l’on appelle oraison au Carmel. Et finalement, c’est elle qui m’a donné une image suggestive : « Lorsque j’avais un enfant malade et que cela nécessitait ma présence, je m’arrangeais à rester auprès de lui, m’allongeait avec un livre à la main ».

Tout y est dit : la présence réciproque, la confiance, le lâcher-prise et avec l’urgence du quotidien, et avec la peur de perdre son temps. Rester là paisible, ne pas se laisser aller à son envie de s’agiter et nourrir l’autre de sa présence, et se nourrir de sa présence. Là le cœur grandit, simplement. Ce qui naît là de cette communion ne fait pas de bruit, mais est puissant pour l’âme. En lorsque cela est vécu en compagnie de Dieu, et qu’on laisse son cœur se grandir de cette relation, le cœur s’ouvre à l’infini.

Pour apprécier la beauté d’un paysage, un mouvement de musique, le chant des oiseaux, pour être présent à l’autre à côté de soi, il faut savoir faire silence, il faut se faire accueil. Il y a un alors un espace qui doit s’ouvrir en soi. Elie dans la Bible (1R19) entend la présence de Dieu dans une voix de fin silence.. Et dans ce silence Dieu se donne. Nous sommes aux antipodes de notre civilisation où le bruit domine. Comme faire pour ouvrir cet autre espace en nous ?

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III - Prendre Jésus pour ami

Thérèse nous invite dans un premier temps à prendre Jésus pour ami, à nous laisser rejoindre par lui au cœur de notre vie : « … notre pensée doit avoir d’ordinaire un point d’appui… dans les affaires, les persécutions, les épreuves, lorsqu’on n’est pas dans la paix coutumière, aux heures de sécheresse, c’est un très bon ami que le Christ, car nous voyons l’Homme en lui, nous voyons ses faiblesses, ses épreuves et il nous tient compagnie ; si on en prend l’habitude, il nous est très facile de la trouver près de nous ; à certains moments pourtant nous ne pourrons obtenir ni l’un ni l’autre. Il sera bon, alors, comme je l’ai dit, de ne pas nous habituer à rechercher des consolations spirituelles ; embrasés à la croix, advienne que pourra, c’est là une grande chose (A, 22, 10). » L’oraison est un combat et d’abord contre soi-même et ses habitudes et son angoisse que l’on masque par un surcroît d’activités. Avec un ami, il faut savoir prendre sur son temps.

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1) Marthe et Marie :

Marthe : Elle représente le besoin de se sentir exister et donc d’avoir une activité. C’est une façon se justifier, pour exister devant l’autre et devant soi-même. Comme si le « trésor de la rencontre pouvait s’acquérir par son travail » ou la tension de sa quête. Marthe a besoin de capter l’attention de l’autre. Ce comportement dresse l’obstacle majeur à toute rencontre véritable, qu’elle soit humaine ou divine Marie : L’accueil gratuit de la présence de l’autre, le désir de l’autre ne peut avancer que mains nues, cœur ouvert, dans l’attente, consentir à avoir les mains vides, et être vide de soi pour être à l’écoute de la voix du Bien aimé. Et quelle est cette voix ? « Celui-ci est mon Fils en lui j’ai mis tout mon amour ». Voilà le trésor qu’a découvert Thérèse et qu’elle voudrait nous partager.

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2) La voix de l’ami

Famille Chrétienne N° 1551 12 oct 2007. Le Père Henri Nouwen (1932-1996). Ce prêtre catholique néerlandais a renoncé à une brillante tarière universitaire pour vivre avec les personnes handicapées à l’Arche de Toronto. Ses écrits, notamment Le Retour de l’enfant prodigue, ont fait le tour du monde. Dans sa Lettre à un ami sur la vie spirituelle, il a confié à un camarade juif comment « vivre on bien-aimé de Dieu », testament pour chacun d’entre nous.

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3) Les deux voix

Or, il y a cette voix, la voix qui vient d’en haut et de l’intérieur, et qui murmure doucement ou proclame fort : "Tu es’ mon bien-aimé, en toi je mets toute ma joie". Il n’est certes pas facile d’entendre cette voix dans un monde rempli de voix qui crient : "Tu n’es pas bon ; tu es laide ; tu ne vaux rien ; tu es méprisable ; tu es insignifiant… à moins que tu n’arrives à prouver le contraire !" Ces voix négatives sont si fortes et si persistantes qu’il est facile de les croire. C’est le grand piège, le piège de se déprécier soi-même. Au fil des ans, j’en suis venu à prendre conscience que le plus grand piège, dans notre vie, n’est ni le succès, ni la popularité, ni le pouvoir, mais l’autocritique destructrice. […] La dépréciation de soi est le plus grand ennemi de la vie spirituelle parce qu’elle vient en contradiction avec la voix qui nous dit : "Tu es mon bien-aimé". Être le bien-aimé est la vérité centrale de notre existence. […]

Entendre la voix du Père « Tu es mon bien-aimé ». Cette voix à toujours été là, mais on dirait que j’étais toujours plus empressé à écouter les autres voix, plus fortes celles-là, qui disent "Prouve-nous que tu vaux quelque chose ; fais quelque chose de significatif, de spectaculaire ou de puissant, ensuite, tu auras mérité l’amour que tu désires tant". Entre-temps, la voix douce qui parle dans le silence et la solitude de mon cœur restait présente, sans que je l’entende, ou du moins sans qu’elle réussisse à me convaincre.

Cette douce voix qui m’appelle le bien-aimé vient à moi de diverses façons. Mes parents, mes amis, mes professeurs, mes étudiants et les nombreux étrangers qui ont croisé ma route l’ont tous fait retentir dans différentes tonalités […] mais, pour une raison ou pour une autre, tous ces signes d’amour n’étaient pas suffisants pour me convaincre que j’étais aimé. Derrière toute ma confiance en moi, apparemment solide, une question demeurait : « Si tous ces gens qui me comblent de tant d’attentions pouvaient me voir et me connaître tel que je suis vraiment, au plus profond de moi, est-ce qu’ils m’aimeraient encore ? » Cette question angoissante, enracinée dans mon ombre intérieure, ne cessait de me persécuter et me faisait éviter ce lieu où la douce voix qui m’appelle son bien-aimé se fait entendre. […] N’espères-tu pas, comme moi, qu’une personne, une chose ou un événement viendra te donner ce sentiment ultime de bien-être intérieur que tu désires ? N’espères-tu pas souvent que ce livre, cette idée, ce voyage, cet emploi, ce pays ou cette relation comblent ton plus grand désir ? Mais tant que tu attends ce mystérieux moment, tu continues de courir comme un dératé, toujours angoissé et agité, plein de concupiscence et de colère, jamais complètement satisfait.

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4) Aimé, dès le commencement

Eh bien, ni toi ni moi n’avons à nous tuer à la tâche. Nous sommes bien-aimés. Longtemps avant que nos parents, nos professeurs, nos conjoints, nos enfants et nos amis nous aient aimés ou blessés, nous étions profondément aimés. Voilà la vérité ultime de notre vie… Si j’écoute cette voix avec grande attention, j’entends en moi des mots qui disent : « Je t’ai appelé par ton nom depuis les commencements… J’ai gravé ton nom dans les paumes de mes mains, et je t’ai caché sous l’ombre de mes bras amoureux… » Chaque fois que tu écoutes avec attention la voix qui t’appelle bien-aimé, tu découvres en toi un désir de l’écouter encore plus longtemps et plus profondément. C’est comme découvrir un puits dans le désert. Une fois que tu as touché le sol humide, tu veux creuser toujours plus profond. […] Cher ami, être le bien-aimé est à la fois le point de départ et l’accomplissement de la vie spirituelle. Devenir bien-aimé, c’est laisser notre condition de bien-aimé s’incarner pleinement dans tout ce que nous pensons, disons ou faisons. Cela suppose un long et pénible processus d’appropriation ou, mieux encore, d’incarnation. Tant que « être bien-aimé » demeure une belle pensée ou une noble idée suspendue au-dessus de ma vie, m’empêchant d’être déprimé, rien ne change véritablement.

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IV - Il ne s’agit pas de craindre mais de désirer

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« … Je puis dire ce que je sais par expérience : malgré les erreurs commises, celui qui a commencé à faire oraison ne doit pas y renoncer ; c’est le moyen pour lui de se guérir ; sans l’oraison, ce serait beaucoup plus difficile. Si le démon lui suggère la tentation d’y renoncer par humilité comme il l’a fait pour moi, qu’il ne cède point ; qu’il croie que Dieu ne peut faillir à sa parole ; lorsque nous nous repentons vraiment et que nous prenons la résolution de ne plus l’offenser, l’amitié ancienne se renoue, Il nous accorde à nouveau ses faveurs, et souvent beaucoup plus, si notre repentir le mérite. Quant à ceux qui n’ont pas encore commencé, pour l’amour du Seigneur je les conjure de ne pas se priver d’un si grand bien. Il ne s’agit pas de craindre, mais de désirer ; » V8,5

C’est donc un mouvement du cœur plus qu’une loi qui nous d’en haut. On ne peut avancer là si notre cœur n’est pas travaillé par le désir et débarrassé de ses peurs.

V11,1 « 1 Je vais donc parler maintenant de ceux qui commencent à être les serviteurs de l’amour ; nous ne sommes rien d’autre, ce me semble, lorsque nous décidons de suivre sur ce chemin de l’oraison celui qui nous a tant aimés ; c’est là une si haute dignité que j’éprouve à y penser une joie extraordinaire, la peur servile s’élimine bientôt, si nous nous comportons comme nous le devons dans ce premier état »

Thérèse nous prend à contre sens de ce qui fait le quotidien de notre vie. Nous qui sommes en quête d’efficacité. Elle nous parle de la suite du Christ, d’être les serviteurs de l’amour et voici comment elle l’entend, marcher sur le chemin de l’oraison. C’est une suite où il s’agit de s’arrêter, de lâcher ses occupations pour se poser. Il y a quelque chose de la dynamique du sabbat qu’il nous faut retrouver. Le sabbat est l’arrêt du travail pour prendre le temps de jouir de son travail et de louer le Seigneur. Il est arrêt des activités, de ce qui nous revient pour continuer l’œuvre de la création, de mettre de l’harmonie dans un monde chaotique. Il est invitation à se montrer plus fort que nos activités, et donc à en être les maîtres. Il est donc exercice de libération face à nos angoisses de ne plus exister si l’on ne fait rien de ses mains. Mais il se révèle aussi comme l’exercice d’une activité plus grande par la louange, c’est la prise de conscience de notre vie intérieure. Le sabbat est au service de la vie de l’âme, de la croissance intérieure.

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V - Découvrir qui nous sommes

Prise de conscience de notre âme. Thérèse nous y invite en prenant l’image du château, en nous disant l’urgence de cultiver notre âme plus que notre corps. Elle se révèle l’exploratrice de notre espace intérieur.

2 Il est bien regrettable et confondant que, par notre faute, nous ne nous comprenions pas nous-mêmes, et ne sachions pas qui nous sommes. Celui à qui on demanderait, mes filles, qui il est, et qui ne se connaîtrait point, qui ne saurait pas qui fut son père, ni sa mère, ni son pays, ne prouverait-il pas une grande ignorance ? Ce serait d’une grande bêtise, mais la nôtre est plus grande, sans comparaison, quand nous ne cherchons pas à savoir ce que nous sommes, nous bornant à notre corps, et, en gros, a savoir que nous avons une âme, parce que nous en avons entendu parler et que la foi nous le dit. Mais les biens que peut contenir cette âme ; qui habite en cette âme, ou quel est son grand prix, nous n y songeons que rarement ; c’est pourquoi on a si peu soin de lui conserver sa beauté. Nous faisons passer avant tout sa grossière sertissure, ou l’enceinte de ce château, qui est notre corps.

3 Considérons donc que ce château a, comme je l’ai dit, nombre de demeures, les unes en haut, les autres en bas, les autres sur les côtés ; et au centre, au milieu de toutes, se trouve la principale, où se passent les choses les plus secrètes entre Dieu et l’âme. Il faut que vous soyez attentives à cette comparaison. Peut-être, par ce moyen, Dieu consentira-t-il à vous faire comprendre quelques-unes des faveurs que Dieu veut bien accorder aux âmes 1D.

Elle part d’une image statique, celle du château, et puis cette image va s’animer, puisqu’elle est le lieu de la présence de Dieu et que Dieu est lumière et vie. Mais les soucis du monde font du bruit dans l’âme et elle ne peut accéder au silence intérieur.

« Vous remarquerez que la lumière qui émane du Palais où est le Roi n’éclaire encore qu’à peine ces premières Demeures, car bien qu’elles ne soient pas obscurcies et noires, comme c’est le cas pour l’âme en état de péché, elles sont assez sombres pour que celui qui s’y trouve ne puisse voir de clarté ; ce n’est pas que la salle ne soit pas éclairée (je ne sais m’expliquer), mais toutes ces mauvaises couleuvres, ces vipères et ces choses venimeuses qui sont entrées avec lui ne lui permettent pas d’apercevoir la lumière : comme celui qui, pénétrant en un lieu où le ciel entre abondamment, aurait, sur les yeux, de la boue qui l’empêcherait de les ouvrir. La pièce est claire, mais il n’en jouit pas, il est gêné, et des choses comme ces fauves et ces bêtes l’obligent à fermer les yeux et à ne voir qu’elles. Telle me semble la situation d’une âme, qui, bien qu’elle ne soit pas en mauvais état, est si mêlée aux choses mondaines, si imbue de richesses, ou d’honneurs, ou d’affaires, comme je l’ai dit, que bien qu’elle souhaiterait, en fait, voir sa beauté et en jouir, elle n’y a pas accès, et il ne semble pas qu’elle puisse se faufiler entre tant d’obstacles. Il est très utile, pour obtenir de pénétrer dans les secondes Demeures, que chacun, selon son état, tâche de se dégager des choses et des affaires qui ne sont pas nécessaires… » 1D2,14

Elle nous invite sur ce chemin à ne pas nous inquiéter, si l’on n’avance pas, à prendre conscience de l’enjeu de ce travail, de cette suite du Christ, et c’est d’ouvrir notre âme à la paix profonde à laquelle elle aspire. Ne rêvons pas d’îles lointaines qui pourraient nous servir de refuge si la paix n’est pas dans notre cœur.

« 9 S’il vous arrive de tomber, ne vous découragez pas, ne renoncez pas à vous efforcer d’avancer, Dieu tirera du bien de cette chute même… Quand cela ne suffirait qu’à nous montrer notre misère, le grand tort que nous fait l’éparpillement où nous vivons, nos luttes, dans cette batterie, pour retrouver le recueillement, ce serait beaucoup. Est-il plus grand malheur que de ne pas nous retrouver nous-mêmes dans notre propre maison ? Quel espoir de trouver le repos dans d’autres maisons, si nous ne pouvons nous reposer chez nous ? »

Pas d’angoisse sur ce chemin, mais confiance en celui qui nous y précède :

« il ne s’agit pas, quand on commence à se recueillir, de s’y employer à la force du poignet, mais avec douceur, afin de s’y tenir plus longuement ».

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